Titre exécutoire sur chèque impayé : un certificat de non paiement sans remords

Titre exécutoire sur chèque impayé : un certificat de non paiement sans remords
  • Exécution forcée
  • Impayés

 

Commentaire d'arrêt : CA Pau, 05-04-2018, n° 16/04149 

 

  Le doute est le commencement de la sagesse disait Aristote. L'arrêt soumis à notre commentaire est une illustration qu'au-delà de l'application scrupuleuse des textes, l'Huissier de Justice doit tenir compte des mises en garde qu'il reçoit et ce d'autant plus dans une procédure dans laquelle il est amené à établir un titre exécutoire.

En l'espèce, le cas est on ne peut plus banal. Il est remis à l'Huissier de Justice un certificat de non-paiement d'un chèque impayé et il lui est demandé d'avoir recours à la procédure définie à l'article L 131-73 du Code Monétaire et financier. Cette dernière prévoit qu'en cas de chèque impayé pour défaut de provision, le certificat de non-paiement établi par l'organisme bancaire peut être signifié à l'émetteur du chèque qui doit alors justifier en avoir régularisé les causes. Faute d'une telle régularisation dans un délai de 15 jours, l'huissier de justice peut émettre un titre exécutoire.

Quelques jours après que l'huissier de justice est signifié au débiteur le certificat de non-paiement, la banque émettrice, avertit l'officier public et ministériel qu'elle a commis une erreur. En effet, contrairement à ce qu'elle annonçait dans son certificat le tireur du chèque avait bien constitué la provision nécessaire au paiement de celui-ci et une opposition avait été formée pour utilisation frauduleuse du chèque. Partant, le cas d'espèce ne permettait plus d'émettre un titre exécutoire sur le fondement des dispositions de l'article L 131-73 du Code Monétaire et financier.

Nonobstant cet avertissement de la banque et, conformément aux instructions de son client, l'Huissier de justice a émis un titre exécutoire et l'a signifié au tireur sur la base du certificat de non-paiement qui lui avait été remis. Ce dernier a saisi le juge de l'exécution en contestation de la procédure diligentée. Le juge de l'exécution a accueilli favorablement la contestation et a condamné l'huissier de justice au paiement de dommages et intérêts ainsi qu'à des frais irrépétibles. L'huissier de justice a interjeté appel de la décision.

La Cour d'appel de Pau fut alors amenée à connaître de cette affaire.

L'émetteur du chèque sollicita la confirmation de la décision rendue par le juge de l?exécution arguant d'un abus de procédure ayant conduit à l'émission fautive du titre exécutoire et au mépris de l'obligation faite à l'Huissier de justice de refuser de prêter son concours lorsque la mesure requise lui paraît revêtir un caractère illicite[1].

L'huissier de justice faisait valoir quant à lui qu'il avait scrupuleusement respecté la procédure prévue par l'article L 131-73 du Code Monétaire et financier dès lors qu'il était en possession d'un certificat de non-paiement dans les formes légalement requises. Il sollicitait également à titre subsidiaire à ce que son mandat, qu'il a parfaitement respecté, lui permette d'être relevé indemne par son mandant.

Dans sa défense, l'huissier de justice faisait également valoir qu'en l'espèce c'est la banque qui a fautivement émis le certificat de non-paiement et que seule sa responsabilité pourrait être engagée.

La Cour d'appel de Pau rejette l'argumentation de l'Huissier de justice et confirme la décision du juge de l'exécution. La Cour estime qu'à réception du courrier de la banque l'avertissant de son erreur, « l'huissier de justice ne pouvait que constater que le certificat de non-paiement, délivré par erreur, alors que le chèque était provisionné, était non avenu, de sorte que sa notification, valant commandement de payer, était elle-même privée de tout effet [?] » ne permettant pas à l'Huissier de justice dresser un titre exécutoire sur chèque impayé. La cour rappelant que les conditions légales nécessaires à l'établissement du titre exécutoire n'étaient pas remplies à la date du titre litigieux.

La sanction apparaît logique même si elle révèle les difficultés pratiques auxquelles peuvent se trouver confronter les huissiers de justice dans l'exercice de leur ministère. En effet, l'huissier de justice s'est retrouvé dans le cas d'espèce à devoir prendre parti quant au sort à réserver à un document établi par erreur par l'organisme bancaire. Il s'est ainsi retrouvé à devoir faire face aux craintes de son mandant quant à une collusion entre l'établissement bancaire et son client et à arbitrer la situation eu égard aux atermoiements de l'organisme bancaire. Plus que dans toute autre procédure, l'huissier de justice, officier public et ministériel capable d'émettre un titre exécutoire, s'est retrouvé dans une position d'arbitrage pour ne pas dire, dans celle d'un juge. Aussi, plus que le strict respect du formalisme de la procédure définie par le Code monétaire et financier, l'huissier de justice est ici invité à ne pas s'extraire du contexte dans lequel ses actes peuvent s'inscrire. En l'espèce, le doute force à la prudence.

 

En définitive, il faut retenir que si la banque a le droit de se tromper, l'huissier de justice averti doit agir avec la plus grande prudence, et ce, sans pouvoir espérer bénéficier du secours du mandat qu'il aura exécuté conformément aux instructions reçues. D'aucuns ont rappelé que quand c'est flou c'est qu'il y a un loup.

 

 



[1] Sur le fondement de l'article  L 122-1 du code des procédures civiles d'exécution